Rencontre sous la pleine lune

Le ciel était noir. D'un noir d'encre, sans nuage, perturbé seulement par la lune et ses étoiles qui dansaient dans son obscurité. Du moins, elles dansaient dans l'imaginaire de Lyz. Cette dernière marchait d'un pas lent, écoutant la musique lointaine qui s'échappait d'une quelconque fenêtre restée ouverte. Une brise légère faisait s'envoler les pétales des fleurs de cerisiers un peu partout. Elle avait vu les arbres en arrivant dans la voiture de cet homme qui lui avait proposé de venir, dans l'espoir de s'acheter ses faveurs. Il ne méritait pas la vie, et pour cela, elle l'avait tué, dévorant son âme, et non pas son cœur. Elle maîtrisait à présent pleinement ses pouvoirs, et savait s'en servir à merveille.

La musique s'échappait toujours de la fenêtre, et on pouvait entendre les rires polis et les ragots incessants que s'échangeaient ces humains banals et insignifiants. Que faisait-elle en cet endroit? Sa place n'était pas là. Tout un monde la séparait de ceux qui se trouvaient dans ces murs, qui appartenaient sûrement à l'un des nombreux sosies de ces humains sans intérêt, et elle se sentait mieux à présent qu'elle était dehors.

La soirée avait été un véritable calvaire pour la vampire. Non pas que sa robe fût désagréable, elle l'adorait. Ce rouge lui seyait à merveille et les accessoires qui la paraient la rendaient plus belle encore qu'elle ne l'était à l'accoutumée. Cependant, elle s'était sentie oppressée avant même son arrivée à l'intérieur des murs. Elle avait pour habitude de toujours prêter une oreille à toutes les âmes, pour avoir connaissance de certains détails, comme le nombre et l'espèce des créatures qui l'entouraient. Mais, lorsqu'elle était arrivée en cet endroit, un brouhaha s'était déclenché dans sa tête sans plus vouloir s'arrêter. Tous ces humains se pensaient importants, mais leurs âmes restaient dérisoires. Ils étaient tous identiques: égoïstes, cupides et obsédés par leur propre personne. Une âme s'était pourtant distinguée dans le lot. Une âme de vampire, une âme solitaire. Lyz avait passé sa soirée à en rechercher le propriétaire, mais il était impossible de le ou la localiser dans ce bruit incessant. Elle ne l'avait perçu que l'espace d'un instant, à peine le temps de sentir son espèce, et la présence s'était dérobée.

Au bout d'un certain temps à écouter au point d'en devenir folle, Lyz avait fermé son esprit aux âmes présentes dans cet endroit. Elle avait mal à la tête, et avait profité de l'indifférence générale pour emmener l'humain qui l'avait invitée à part, le tuer, et ensuite s'éclipser pour respirer. Dès qu'elle fut sortie, tous ses sens furent soulagés. Elle ne pouvait plus supporter ce bruit, tant interne qu'externe, la vue lui donnait des nausées... ce n'était pas que les lieux étaient mal décorés, loin de là, l'intérieur avait un certain charme dont elle doutât que les invités pussent profiter, et l'extérieur était plus sublime encore. Plus elle réfléchissait, et plus elle pensait que l'âme qu'elle avait perçue plus tôt dans la soirée était celle du propriétaire. Cependant, quelque chose clochait. Pourquoi donc avait-il ou elle invité tant de monde, si plein de manière qu'il ne se rendait pas compte qu'il n'avait rien de raffiné, qu'il en devenait grossier. Pourquoi se forcer à faire les mêmes choses que les êtres emplis de grâce, comme les vampire, alors que l'on sait pertinemment qu'on en est totalement dépourvu? Cette question paraissait vouée à demeurer sans réponse.

Lyz ne remarqua qu'elle s'était arrêtée sous un balcon perché assez haut que lorsqu'une silhouette lui atterrit devant le nez avec souplesse. Quelle imbécile! Elle avait relâché sa garde! Heureusement, l'inconnu ne semblait pas l'avoir remarquée et s'éloigna en marchant. C'était lui. Aucun doute, c'était lui. Elle n'avait pas même à lire dans son âme pour le savoir. La souplesse avec laquelle il s'était réceptionné de cette hauteur qui aurait tué ou tout le moins blessé un être humain en faisait foi, ainsi que la grâce de sa démarche. Enfin, il dégageait quelque chose, comme une aura, si bien que Lyz le savait sans vérifier: elle tenait son vampire.

Elle fut tentée, l'espace d'un instant de signaler sa présence. Cela aurait été infiniment plus poli. Mais elle se dit aussi qu'elle venait de tuer quelqu'un dans ce château, alors la politesse n'était plus si importante, à présent, on n'était plus à cela près... elle suivit donc le jeune homme roux habilléde blanc avec une cravate rouge et des chaussures noires. Il avait une certaine classe que Lyz ne put s'empêcher d'ignorer. Le vampire s'engagea dans la forêt. Il semblait pensif. Les pétales de fleurs roses étaient partout. Elle voletaient, recouvraient le sol, se posait doucement sur une partie du corps avant de s'envoler de nouveau. Ce raffinement dans la décoration intérieure, dans le choix des plantes qui recouvraient le terrain, n'était-ce pas surhumain?

Il arrivèrent l'un derrière l'autre au bord d'un sublime lac où se reflétait la lune. L'eau remuait sous la fine brise, sous le poids des pétales qui se posaient délicatement à sa surface. Parfois, un poisson élégant sautait pour manifester sa présence et tout redevenait calme. Ils s'étaient éloignés de la musique trop forte, recouverte par des rires faux et des paroles venimeuses. Ils étaient dans un endroit qui semblait issu d'un rêve.

Soudain, Lyz se mit sur ses gardes. Elle avait vu une petite lueur, probablement celle d'un briquet ou d'une allumette, s'éclairer dans la main du maître de maison. Cependant, ce qui intrigua la jeune vampire, ce n'était pas le feu en lui-même, mais c'était que celui-ci s'enflait sans se soumettre à la volonté du vent qui aurait dû le souffler depuis longtemps. Le feu prit peu à peu une forme allongée que Lyz eut un peu de mal à reconnaître sur le coup. C'était en réalité un grand dragon qui serpentait au dessus du lac en d'élégantes courbes. Mais, tout d'un coup, le feu plongea et s'éteint. Il ne restait plus que de petites flammes, à peines des étincelles, qui évoquaient les lueurs d'un ciel étoilé. Ainsi, tel était son pouvoir... il manipulait le feu. C'était intéressant. Très intéressant.

Lyz décida enfin de se montrer. Pour cela, elle fit un pas bruyant en avant, marchant délibérément sur une brindille. Il lui semblait meilleur de signaler sa présence de cette manière que par des mots, cela prouvait qu'elle n'avait pas, ou pas encore, du moins, l'intention d'attaquer. Le vampire se retourna en douceur, et Lyz lui sourit. Elle se pencha en avant, saluant à la japonaise, comme elle avait toujours aimé le faire et déclina son identité d'une voix douce, chantante, musicale.

« Bien le bonsoir, cher hôte. Je m'appelle Lyz Williams, vampire de mon état. Je vous prie de m'excuser de vous avoir suivi, mais j'ai été curieuse après vous avoir senti tout à l'heure en arrivant de vous trouver. Le fait de vous avoir vu atterrir juste sous mon nez avant votre promenade n'est pas tout à fait étranger à ma curiosité non plus, à vrai dire. »

Lyz s'avança, prit délicatement le briquet de la main de l'inconnu et l'alluma, en une prière muette pour une nouvelle démonstration.

« J'admire votre talent, Monseigneur. Votre dextérité est jusqu'ici sans égale à mes yeux. Mon art est tout aussi délicat, bien qu'on n'en puisse admirer l'effet aussi bien que dans la pratique du votre. J'ai cependant le privilège de savoir m'en servir sans aucun problème, si ce n'est le brouhaha incessant de la multitude. »

L'inconnu semblait pensif. Qu'avait-il? Mystère. Était-il surpris de savoir qu'elle était, elle aussi, membre de la caste des vampires? Peu importait à Lyz, le fait qu'il ne répondît pas était insultant. Il avait tout de même affaire à une jeune fille distinguée, en apparence du moins, qui s'était présentée dans les règles de l'art en usant moult qualificatifs appréciateurs. Et cet ingrat ne trouvait rien d'autre comme réaction que de l'ignorer! Quelle mauvaise éducation! Ressemblait-il donc tant que cela aux humains superficiels qu'il avait invités? La beauté de son intérieur tant que celle de son jardin n'étaient-elle que purs hasards? Cette sensibilité qu'elles semblaient montrer, cette impression fantastique qui s'en dégageait... non. Tout était encore le fruit de son imagination vagabonde.

Lyz avait osé. Elle avait osé espérer rencontrer un être sensible, quelqu'un comme elle, qui lui ressemblait. Elle avait laissé son imagination dresser, à partir du peu qu'elle savait de cet être, un portrait semblant être réel. Elle s'en était pourtant éloigné. Plutôt que ce jeune homme intelligent, à la conversation intéressante convenant à un esprit sans tâche, plutôt que ce jeune homme galant, aux manières exquises dont les intentions sont pures, plutôt que ce jeune homme sensible à l'imagination florissante et à la gentillesse exaltante, elle avait face à elle un être certes beau, mais dont les qualités s'arrêtaient là. Il n'était pas intelligent, dépourvu de toute espèce de manière, quelle qu'elle fût, un être qui la toisait, la jugeait avant de lui adresser la parole, si il comptait le faire un jour, un être dépourvu de toute sensibilité, physique ou morale. Se pouvait-il que son intérieur et son jardin fussent conçus par un autre? Oui. C'était sans doute cela.

Lyz était déçue. Elle pensait que le fait de rencontrer, enfin, quelqu'un de sa race serait merveilleux. Elle avait pensé que ce serait un être distingué, civilisé, appréciable et, dans ses rêves les plus fous, romantique et gentil. Et cet énergumène, le premier qu'elle rencontrait, cet abject immondice était indigne d'elle!

Elle commença à fouiller dans les replis de sa robe, à la recherche de Kaimetsu, mais elle sentit une odeur se rapprocher. À vrai dire, elle était facilement identifiable. Elle était fraîche, appétissante, mais masquée par une abondance de parfum, de fond de teint et autres cosmétiques. C'était une jeune fille invitée au bal, probablement. Lyz sentit l'eau lui monter à la bouche à la pensée du festin qu'elle pourrait faire, mais elle se retint. Malgré son opinion, elle avait face à elle le premier représentant de sa race, et il fallait qu'elle lui rappelle que les vampires avaient un honneur, ainsi que du savoir vivre, contrairement à d'autres créatures uniquement bestiales. Elle continua donc de fouiller dans ses jupons, tandis que l'autre se présentait enfin.

Masaki Kuroda. C'était un nom japonais, il devait donc connaître son salut, et, bien sûr, la politesse qui exigeait que l'on répondît à ce dernier. À moins qu'il n'eût reçu une éducation qui venait d'un autre pays, ou bien aucune éducation, ce qui était alors le plus probable. Elle en était là de sa réflexion, quand une odeur de sang provint de la jeune humaine. Et Masaki n'était plus là!

Il avait manifestement joui d'un petit festin lorsqu'il revint. Il avait les yeux brillant, et il semblait un peu moins absorbé par ses pensées. Une odeur de brûlé avait vaguement flotté dans le vent qui jouait dans sa sublime robe d'une rouge sang éclatant, puis il était revenu. Il fit alors une chose à laquelle Lyz ne s'attendait pas. Elle avait toujours la main gauche qui tenait un pan de tissus afin de s'assurer une meilleure prise de Kaimetsu, ce qui pouvait être pris pour une forme d'élégance, car la robe retombait alors avec grâce en direction du sol, dévoilant un peu plus de peau qu'elle ne le devrait, pendant que sa main droite s'était automatiquement posée sur sa hanche, signe chez elle de réflexion. Le vampire, à présent nommé ''Abrutidépourvudecultureetdéducationquivaleregretter'', attrapa ladite main droite et la baisa, un genou en terre.

-Veuillez m'excuser de mon impolitesse, j'étais ailleurs au moment où vous êtes arrivée.

Lyz était totalement sidérée. De ''Abrutidépourvudecultureetdéducationquivaleregretter'', Masaki, dont le nom était japonais, venait de passer à ''Individucorrectvoiremêmegalantquirisquedevoirsavieserallonger''. Elle en était toute émue. Que faire à présent? L'individu avait donné deux facettes de sa personnalité: une indigne d'être un vampire, l'autre, apparemment digne de l'être. Que faire, que faire? Les mots sortirent alors tous seuls.

''Je comprends. J'effacerais donc autant que possible cet écart à la politesse de ma mémoire, grâce à votre geste.''

Lyz fit une légère révérence. Si il ne salissait pas cette nouvelle image, pourquoi ne pas donner une nouvelle chance à ce confrère?

''Si je puis me permettre, êtes-vous, comme votre nom le suggère, d'origine japonaise?''

Un léger temps de silence précéda la réponse de Masaki, comme si celui-ci réfléchissait ou se posait une question -ce qui en soi était la même chose. Avait-elle raison? Attendait-il quelque chose d'elle? Si tel était le cas, elle n'aurait alors plus qu'à le tuer, après s'être donné du mal à le soigner. Le jeune vampire prit alors la parole.

-En vérité, je savais très bien que cet homme n'aurait pas pu vous effleurer mais ... Mais mon corps a bougé tout seul indépendamment de mon raisonnement ... Et vous, pourquoi me soignez-vous avec tant d'ardeur ?

Non! Elle ne pouvait pas s'être trompée! C'était impossible! Cet être ne pouvait pas être foncièrement bon! Il restait tout de même un mâle! Cependant, elle décida de lui laisser une chance. Pourquoi pas, après tout? Il lui avait sauvé la vie! Mais devait-elle lui expliquer ses véritables raisons? Elle décida qu'elle pouvait lui faire confiance. Il n'essaierait pas de modifier sa conduite, car celle-ci était exemplaire, il n'avait strictement rien à se reprocher. Elle allait ouvrir la bouche quand Masaki fit signe à son majordome de s'approcher, et lui dit quelques mots que Lyz n'écouta délibérément pas, pour respecter l'intimité du jeune rouquin. Le domestique disparut sans un mot derrière la porte par laquelle il était entré, laissant les deux vampires seuls.

-Dites-moi, voudriez-vous bien dormir dans ma demeure cette nuit ?

Lyz resta pantoise face à cette proposition. L'indication donnée au majordome était-elle celle-ci? Masaki attendit-il tout de même quelque chose d'elle? La jeune femme se prépara à revoir son jugement sur le vampire, mais elle n'avait pas tous les éléments, et il se pouvait que cette proposition n'eût rien d'indécent. Que devait-elle faire?

*Hmmm... après tout, je ne crains rien, et puis, je peux le tuer d'une seule pensée si cela se complique.*

Et bien, puisque vous me faites un tel honneur, cher hôte, j'accepte avec plaisir à la condition que vous ne vous surmeniez pas pour moi.

Elle avait accepté. Était-ce une bonne idée? Elle l'ignorait encore. Tout cela s'expliquerait durant la nuit, certainement. Elle ne savait vraiment pas à quoi s'attendre venant de cet être aussi courtois. Et elle hésitait à étendre de nouveau son âme à la sienne, car si il se révélait franc, cet acte aurait été d'une impolitesse impardonnable, et Lyz se serait sentie mal à l'aide à chaque fois qu'elle se serait retrouvée en face de lui, même si le vampire n'aurait eu aucune conscience de cet acte. Elle avait toujours jubilé à l'instant où elle s'apprêtait à découvrir l'honnêteté -ou l'absence d'honnêteté- d'un individu, mais ce soir là, elle appréhendait. C'était comme si elle pouvait perdre quelque chose qui lui était déjà cher.

En ce qui concerne vos soins, ne vous méprenez pas, reprit-elle avec une soudaine froideur, comme si elle avait peur que le vampire découvrît ses pensées. Ce n'est que de la pure et simple curiosité, rien de plus. Votre cas m'intrigue, et je compte l'examiner. Elle décroisa les jambes, se leva et s'inclina bien bas, face à son interlocuteur. Je vous prie de me pardonner ce ton froid, mais mes paroles sont bien réelles. J'ai hésité avant de vous avouer mes motivations, mais j'avais jugé que vous ne méritiez pas la vie, à l'instar de tant d'autres, puis votre conduite a été irréprochable. Je demeure donc assez indécise quant à la légitimité de votre existence...

Lyz se redressa et regarda Masaki dans les yeux. Quoi qu'il pensât, elle lui avait révélé la vérité, et, si il n'en était pas digne, cela serait une raison de plus pour la jeune femme de rouge vêtue pour le tuer. Comment allait-il réagir à sa réplique? Elle était assez curieuse de le découvrir. La vampire se rapprocha de la banquette où était installé son compagnon et s'installa sur le rebord de celui-ci. Quitte à recevoir une réponse, autant être assise.

Masaki mit du temps à répondre, comme si il réfléchissait intensément. Enfin... Lyz en était certaine, on pouvait enlever le « comme si ». mais quelles pouvaient bien être ses pensées? Décidait-il de ce qu'il convenait de faire pour sa conduite? Allait-il en changer?

*Peu importe, se dit-elle.*

Elle se mentait. Elle le savait, mais elle ne comprenait pas vraiment. Peut-être était-ce parce qu'il l'intriguait. Peut-être avait-elle développé une certaine affection pour lui, suite à ce geste. Elle ne voulait pas le savoir. Non, vraiment, peu lui importait de savoir ce que lui inspirait cet homme -ce vampire- plus jeune qu'elle. Tout ce qu'elle voulait, c'était savoir si oui ou non il méritait vraiment la vie. Que pouvait-elle faire pour le savoir, mis à part attendre, attendre et observer? Elle pouvait, bien sûr, sonder son âme, mais quelque chose l'en empêchait. Que devait-elle faire? Lyz l'ignorait totalement, et cela la gênait. Pourquoi n'agissait-elle pas comme avec tous les autres? Tant pis. À quoi bon se poser des questions lorsque l'on est sûr de ne pas y trouver de réponse? Elle avait toujours suivi son instinct qui lui disait à chaque fois « sonde son âme », puis « tue-le ». Ce jour là, cet instinct sauvage et meurtrier se taisait. Il ne lui disait rien, sinon « attends » et « observe ». pourquoi ne pas le suivre, une fois de plus? Parce qu'il avait changé de discours? Ce n'était pas une raison.

Soudain, le jeune Kuroda eut un signe de faiblesse: il mit son bras gauche sur ses yeux, certainement dans le but de se cacher de la lumière que Lyz s'empressa d'éteindre -après tout, entre créatures de la nuit...- puis il toussa dans sa main droite. Lorsque celle-ci s'enleva de devant la bouche du vampire, Lyz put voir quelques gouttes d'un liquide plus sombre que d'habitude dans l'obscurité ambiante, mais dont l'odeur ne trompait pas: du sang.

Quel poison tenace... dites-moi, pourquoi suis-je toujours vivant alors que j'ai été extrêmement impoli avec Bloody Lyz?

Les yeux de ladite Bloody Lyz s'ouvrirent sous la surprise, et sa bouche forma un cri muet. Il avait deviné. Il l'avait reconnue! C'était la première fois qu'une telle chose lui arrivait. Et elle ne savait pas comment réagir, face à cet être que son instinct lui dictait de ne pas tuer. Était-ce pour cela qu'il avait modifié sa conduite? Parce qu'il avait reconnu en elle la dangereuse criminelle, celle qui tuait tous les hommes, d'abord ceux qui entretenaient des relations adultères, puis tous ceux qu'elle jugeait indignes de vivre? Non, elle ne le pensait pas. Pourquoi eût-il sourit, sinon? Pourquoi avait-il risqué sa vie, alors qu'il avait pu se débarrasser d'elle? Instantanément, la vampire reprit le contrôle d'elle-même. Ses yeux reprirent leur expression habituelle, et sa bouche se referma.

Je vois que je suis démasquée, fit-elle avec un sourire en coin et une étincelle dans l'oeil. Serait-ce la raison de votre conduite exemplaire, cher ami?

Elle haussa le ton, et sa voix se durcit.

Oui, je suis une criminelle recherchée, et déjà retrouvée, d'où mon état de vampire. Oui, je suis un monstre sanguinaire. Oui, j'ai donné dan s l'anthropophagie. Et oui, je suis dotée de pouvoirs dépassant l'imagination des scientifiques qui m'ont créée.

Elle approcha son visage de celui de Masaki, une lueur folle dans le regard.

Avez-vous peur de moi à présent? Vous demandez-vous encore pourquoi est-ce que je vous laisse en vie? Je vous l'ai dit.

Sa voix se radoucit, et elle s'éloigna du jeune vampire.

Je veux savoir qui vous êtes vraiment, je veux vous découvrir, vous explorer, et surtout... Surtout... savoir si vous méritez de vivre.

Elle regarda ailleurs, marquant un temps de pause, et reprit, comme si elle s'adressait à elle-même:

Pourquoi vous ai-je épargné alors que vous vous conduisiez comme un goujat dès le départ? C'est, ma foi, une bonne question. Pourquoi mon instinct ne me dicte-t-il pas de vous tuer, mais de vous observer, de garder mes gestes pour moi, jusqu'au moment où j'atteindrais la certitude que vous ne méritez en rien la vie? Je ne sais pas...

[Chose promise, chose due: voici la fameuse surprise... J'espère qu'elle va te plaire ^^]

Le regard de Lyz retomba sur le jeune vampire, si faible. Elle n'était même pas sûre que sa tirade était saisie par son cerveau au fur et à mesure qu'elle était énoncée, tant Masaki était mal en point. Elle avait été déstabilisée par la question du vampire, alors que sa réaction aurait dû être complètement naturelle, voire automatique. Elle ne souhaitait pas voir le jeune Kuroda mourir, alors il n'y avait qu'une solution: s'arranger pour qu'il ne meure pas. En soi, ce raisonnement était bien trop logique pour ne pas être ridicule, mais combien de personnes avaient perdu leurs proches, faute de l'avoir appliqué?

Lentement, Lyz leva son bras gauche jusqu'à sa bouche qu'elle entrouvrit. Là, elle planta ses crocs dans la chair tendre et ferme à la fois, juste au dessus du poignet, là où les veines bleues sont apparentes, et fit une entaille qui laissait passer suffisamment de sang. Elle mit la coupure entre les lèvres de Masaki et lui leva la tête afin que le substantifique liquide (référence à la substantifique moelle, à vous de la retrouver ^^) puisse couler dans la gorge et l'hydrater, tout en nourrissant le vampire.

Lorsque Masaki eut fini de boire son sang, Lyz eut quelques petits vertiges, mais cela lui passa très vite. Elle avait senti le liquide couler dans ses veines jusque dans la gorge du rouquin, et cela lui avait donné une drôle de sensation, fort agréable, à sa grande surprise. C'était la première fois qu'elle donnait son sang, mais elle l'avait fait naturellement. Sinon, à quoi auraient servi tous ces efforts? Et puis, elle avait toujours aimé aider son prochain, malgré sa réserve naturelle. Enfin, c'était ce qui lui semblait. Ses souvenirs d'avant sa nouvelle vie avaient été effacés. Seules quelques bribes lui revenaient, ainsi que des principes, qui avaient toujours été les mêmes, selon elle. Elle savait qu'elle avait été humaine, qu'elle avait été condamnée puis transformée en vampire. Cela n'était pas pour lui déplaire, bien entendue. Elle était repartie, sans savoir comment et s'était retrouvée à New-York, seule.

Elle regarda Masaki dont l'oeil apparent se fermait tout seul. Il avait l'air exténué à cause de ce sang qu'il avait perdu, et celui de Lyz ne suffisait pas encore à combler le vide laissé. Après tout, il ne circulait pas encore dans ses veines, et il n'avait pu en refabriquer que très peu. Il était normal qu'une certaine torpeur s'empare de lui. Malgré cet Œil presque clos et cette fatigue perceptible par n'importe qui -même un humain- tant elle était importante, le jeune vampire sourit et ouvrit la bouche pour murmurer quelque chose d'une voix si basse qu'elle faillit bien ne pas l'entendre, malgré son ouïe très fine.

-Vous devriez me tuer tant que je suis faible... Et... Non, je n'ai pas peur de vous... Au contraire... Je vous admire.

Le jeune Kuroda cessa alors de lutter contre cette torpeur qui s'efforçait de s'emparer de lui. Le bras toujours sur le visage, il laissa ses muscles se détendre et son Œil se ferma. Il était devenu aussi vulnérable qu'un enfant, tout endormi lui aussi. Une certaine innocence régnait sur ses traits paisibles. Malgré cela, il avait su se montrer responsable et prendre des risques au moment voulu. Cet assassin était venu pour lui, et Lyz était sûre qu'il le savait. Cependant, elle n'allait pas le lui dire. Cela ne devait pas être la première fois, et ce n'était certainement pas la dernière. Masaki avait du avoir une vie difficile. C'était la seule solution qu'elle trouvait à cette maturité combinée à une innocence si flagrante. Et c'était sans aucun doute aussi la raison de la conservation d'une telle éducation, d'une telle conduite.

Elle était tout de même intriguée par ce vampire de la haute noblesse. Il n'était pas seulement une bête assoiffée de sang, mais aussi un être possédant un cœur, une éthique et une éducation. Ou c'était ce qui était visible de l'extérieur. Du plus loin que remontaient ses souvenirs, c'est à dire depuis la fin de cette période brumeuse, Lyz n'avait jamais vu un être capable d'un tel acte. Elle se remémorait ses longues promenades entre les gratte-ciels new-yorkais, dans son éternelle robe rouge sang, Kaimetsu dissimulée dans les replis de cette dernière, elle déambulait de sa démarche lente et assurée qui attirait tous les regards sur elle. Tout le monde la regardait. Elle était éblouissante de beauté, de calme et de sérénité. Les hommes ne tardèrent pas à l'aborder de nouveau, et elle put continuer cette besogne qu'elle savait s'être fixé il y avait bien longtemps pour une raison précise, mais elle ne se souvenait plus de laquelle. Elle supprimait tous les êtres qui ne méritaient pas la vie. Aucun mâle ne lui avait posé de problème jusque là: tous avaient voulu la posséder, tous avaient cru y parvenir, et pourtant, tous lui avaient appartenu, et tous l'avaient regretté.

Masaki bougea dans son sommeil, attirant le regard de Lyz qui s'était assise à ses côtés sans s'en rendre compte. Son bras n'était plus sur sa figure, mais sur le matelas de la banquette, et une mèche de cheveux était venue se déposer sur son visage. Elle avança délicatement le bras jusqu'à la tête du jeune vampire et écarta délicatement les fils roux de son visage, effleurant légèrement la peau au passage. Elle remarqua alors seulement à quel point ses traits étaient fins et doux. Était-il possible qu'il devînt le premier qui passerait ses critères d'une sévérité presque trop prononcée? Lyz décida de lui faire confiance. Il en était capable.

Lyz se leva en prenant garde de ne pas réveiller Masaki et alla s'asseoir sur une chaise. Elle médita encore un peu sur sa vie, sur celle du jeune vampire et; avant même de s'en rendre compte, s'endormit.

Lyz était dans les bois. Tout était sombre, et des craquements peu rassurants retentissaient dans la forêt. Ils arrivaient, à grands pas, sans même se soucier de l'éventualité que la vampire les repérât. Ils étaient en chasse, et se rapprochaient de plus en plus d'elle, qui était clouée sur place. Pourquoi ne pouvait-elle pas bouger? Elle regarda autour d'elle. La vampire avait la cheville coincée dans un amas de racines. C'était donc cela, la raison de son immobilité forcée! Lyz commença à paniquer. Ils se rapprochaient! Elle devait partir au plus vite! Elle avait une conscience aigüe du danger qui arrivait sur elle, et elle savait très bien que son pouvoir, bien que commode la plupart du temps, était impuissant face à eux. la jeune femme entendait ces bruits inhumains, insupportables, se rapprocher de plus en plus. Bientôt, ils seraient là, près d'elle, et ce n'était sûrement pas pour l'inviter à prendre le thé. Il fallait fuir! Après beaucoup d'efforts, sa cheville se décoinça des racines, et elle partit en courant, le plus vite possible, ce qui n'était pas peu dire, étant donné ses capacités de vampire. Était-ce suffisant, cependant, pour semer ses poursuivants? Lyz en doutait. Elle accéléra le pas, allant toujours plus vite. Elle n'avait jamais réellement su qui ils étaient, mais elle avait appris à les craindre.

Leur plainte inhumaine était toujours plus proche. Elle devait se retourner, et faire face. Elle fit volte face, saisissant Kaimetsu de la main droite et trois de ses dagues de la main gauche. Les plaintes se stoppèrent en même temps que les créatures qui les produisaient, et Lyz se retrouva encerclée. Elle s'adossa à un tronc, prête à subir leurs attaques. L'un d'entre eux bondit; la vampire para le premier assaut...

Lyz sentit qu'on la déplaçait, mais elle ne parvint pas à ouvrir les yeux. Elle poussa un petit gémissement, sentit qu'on la posait et qu'on la bordait. Elle se retourna et sombra de nouveau dans un sommeil profond.

Ils étaient nombreux, Lyz était encerclée. Elle avait réussi à affronter la première créature, mais elle se savait impuissante face à un assaut groupé. Elle était tout de même résolue à tenir bon. Une deuxième bête s'élança. Elle se retrouva fendue en deux. Une troisième prit le relais, puis un quatrième, jusqu'à ce que Lyz se retrouve submergée par le nombre. Ce fut à cet instant qu'elle se rendit compte que le danger qu'elle percevait ne venait pas de ces créatures, mais d'au dessus d'elle. Elle leva les yeux tandis qu'une créature lui attrapait l'avant bras gauche. Deux paires d'yeux énormes, plus gros que sa tête la fixaient. L'une était rose et l'autre bleue. C'était eux.

-Eh bien, vous nous attendiez? fit la voix de la créature aux yeux bleus.

Lyz se réveilla, mais n'ouvrit pas les yeux pour autant. Son sommeil la rappelait, et elle essayait en vain d'en sortir totalement. Elle voulut appeler quelqu'un, quelque chose pour l'aider à se réveiller, mais c'était impossible.

-Je suis si contente <3 je le voulais rien que pour moi et je l'ai! s'exclama la voix de la créature aux yeux roses.

Lyz sombrait de nouveau dans les méandres du sommeil, mais elle sentit qu'on la levait de force et qu'on l'entraînait plus loin, dans une autre pièce. Ces mains inamicales n'étaient pas les mêmes que celles qui l'avaient transportée un temps indéfini avant. Elle étaient glaciales, brusques, violentes. Elles la traînaient par terre sans faire attention, et à plusieurs reprises, les membres de la vampire se cognèrent. Il n'en fallut pas plus pour la réveiller complètement.

-eh bien, jeune fille? On sort enfin du sommeil? reprit la voix. C'est parfait! Tu seras plus active ainsi.

Active? Cet homme pensait-il réellement ce qu'elle croyait qu'il pensait? Voulait-il la violer? Lyz leva les yeux sur cette chose immonde qui n'était plus humaine. Son visage était recouvert de croûtes jaunâtres et ses yeux étaient entièrement blanc. Ses mains, recouvertes de la même peau que son visage se terminaient pas des griffes qui déchiraient peu à peu la peau et la robe de Lyz. C'était un démon, et il semblait très touché par le pouvoir de séduction de la vampire. Cependant, lorsque leurs regards se croisèrent, le démon s'arrêta net, et la pression sur les épaules de Bloody Lyz se desserra.

Veux-tu réellement abuser de moi?

La conscience de Lyz se répandit d'un coup, et elle saisit l'âme du démon.

Qu'attends-tu de cet instant? Sais-tu que tu ne trouveras que la mort?

Le démon rit, et son âme glissa de l'étau que Lyz avait formé de sa pensée. La jeune femme eut un léger cri de douleur. C'était la première fois que quelqu'un lui résistait. Elle étendit de nouveau sa conscience, mais l'âme lui échappait toujours. Que pouvait-elle faire? D'un mouvement rapide, elle saisit Kaimetsu et le brandit, tout en jetant des dagues de la main gauche au visage de son adversaire qui l'avait lâchée par inadvertance. Le démon esquiva sans peine tous les coups et la frappa, juste entre les deux omoplates. La jeune femme se retrouva à terre, à moitié sonnée.

Cette chose était capable de résister à son pouvoir. Il lui glissait entre les doigts, et il la surpassait au combat. Et tout cela pour la violer! Il ne méritait pas la vie qui l'habitait. Non. Il allait mourir pour cela. Lyz entra alors dans un état second. Elle ne songea pas à interroger son ex futur violeur, ni à lui laisser la moindre petite chance. Il allait mourir, et c'était tout. C'était inéluctable. La vampire étendit pour la troisième fois sa conscience, et enferma l'âme du démon dans une boîte close, sans même la plus petite issue. L'expression de ce dernier changea. Son âme donnait des coups violents dans la boîte, tandis que Lyz se relevait, une lueur cruelle dans le regard. Elle essuya une goutte de sang qui lui avait souillé les commissures des lèvres et sourit face au regard désespéré du démon.

Tu t'es bien battu, pour un être qui ne mérite pas la vie, mais ç'en est fini de toi.

La boîte devint de plus en plus petite autour de l'âme du démon, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus soutenir la pression et explose. Telle un câble trop tendu qui se sectionne, la conscience de Lyz revint à elle, et elle vit le corps du démon mort s'effondrer. Elle le retourna du pied.

Beuhââââ!!! un être pareil, c'est dégouttant! Tu m'étonnes qu'il était en manque!

Lyz regarda alors autour d'elle et se rendit compte qu'elle se trouvait dans un endroit inconnu, jusqu'à ce que les souvenirs de la veille lui reviennent. Sa mémoire était de moins en moins longue à revenir. Était-ce le signe qu'elle allait bientôt se souvenir de son ancienne vie? Elle avait tué un homme en ces lieux, et elle avait rencontré puis soigné un vampire qui avait risqué sa vie pour elle. Ma... Maku... Non, Masaki, Kuroda. Oui, c'était bien cela. Où était-il? Lyz repartit dans le sens d'où elle pensait venir. Elle parcourut de longs couloirs et arriva devant une porte close. Adossé au mur à côté, un homme blond perdait son sang. Le majordome. Lyz lui tâta le pouls, bien qu'elle sut pertinemment qu'il était mort. Elle lui ferma les yeux, et but un peu de son sang pour reprendre des forces. Ce coup l'avait bien sonnée... puis, elle ouvrit la porte.

La pièce était obscure, les volets étaient fermés, les rideaux tirés. Cependant, Lyz distinguait parfaitement ce qui se trouvait dans la pièce. Un immense lit à baldaquin trônait au milieu de la pièce. Nu, les poings enchaînés au sommet du lit, Masaki dormait. Il était porté par ses bras, tel un esclave ayant fauté. Que se passait-il? Lyz perçut alors un léger bruit en hauteur. C'était une dragonne, rose, les yeux de la même couleur qui la fixait. Elle était la créature de son rêve.

Avant que Lyz puisse faire un mouvement, elle passa à l'attaque. La vampire tenta de se défendre, mais elle était trop lente: le sang du majordome ne faisait pas encore effet. Elle se retrouva alors ligotée de l'autre côté du lit, de la même manière que Masaki, et se trouvait trop faible pour utiliser son pouvoir.

-Hmm... toi, je te garde pour plus tard! D'abord, lui! Mais je vais t'examiner avant...

La dragonne se dirigea vers elle. Ses ailes étaient repliées pour éviter de déchirer les tentures du lit. Lyz sentit ses griffes lui attraper le menton avec peu de délicatesse, faisant perler une goutte de sang. Puis elles descendirent délicatement le long du cou de la vampire jusqu'à la robe en partie déchirée au niveau des épaules.

-Quel dommage qu'Akuma n'ait pas été plus délicat avec cette étoffe si délicate! Elle te va pourtant si bien...

La dragonne se détourna, alla vers Masaki et enroula sa queue tout autour du corps du vampire endormi. Lyz releva les yeux à cet instant, et ce qu'elle vit la mit hors d'elle. Spontanément, sa conscience s'étendit et broya l'âme de la dragonne. Les yeux de cette dernière se vidèrent tandis que tout ses muscles se relâchaient que qu'elle s'effondrait par terre, morte à son tour. Épuisée par l'effort, Lyz lutta contre le sommeil tout en cherchant à se détacher pour aller voir Masaki, mais ce fut l'inconscience qui s'empara d'elle sans qu'elle eût le temps de finir.

Des heures, des jours peut-être, étaient passées depuis l'évanouissement de Lyz. Elle avait fourni trop d'énergie, trop peu de temps après avoir donné de son sang. Le coup porté par le démon l'avait aussi éprouvée et vidée. Le résultat en avait été dur. Elle s'était sentie tomber, retenue par les chaînes de ses poignets, puis, plus rien. Avait-elle rêvé? Peut-être, mais elle en doutait. Rêvait-on lorsque l'on sombrait dans l'inconscience? Était-ce la même chose que de dormir? Peu à peu, elle revenait à elle, retrouvant d'abord sa faculté de penser. Tout était noir, trop noir. Elle ne distinguait rien. Ses yeux étaient clos, et elle n'arrivait pas même à les bouger un peu. Non, elle ne pouvait que penser, en cet instant.

Elle avait tué le démon, puis la dragonne. Étaient-ils les deux seuls présents à cet instant? Lyz l'espérait. Elle ne savait pas où elle se trouvait, elle n'avait pas encore retrouvé ses sens. Les retrouverait-elle un jour? Elle ne savait pas où elle était, et elle n'avait jamais senti pareille sensation. Était-ce cela la mort? Oui, peut-être qu'un autre complice était arrivé et l'avait tuée pendant qu'elle était inconsciente et attachée. Alors pourquoi pensait-elle encore? Elle savait pertinemment que sans l'âme, il n'y avait ni vie, ni pensée. Elle savait aussi que l'âme ne survivait pas au corps. Alors pourquoi pensait-elle? Elle n'était pas morte. La réponse était simple.

Des picotements se firent alors sentir dans tout le corps de Lyz, comme si quelqu'un avait le regard braqué sur elle. Elle constata par la même occasion qu'elle avait retrouvé la sensation du toucher. Bon, elle n'était pas morte, elle n'avait pas mal aux poignets, elle était bien au chaud, dans un lit douillet. Elle avait changé de posture. Et Masaki, dans l'histoire? Était-il toujours attaché, nu, au lit à baldaquin, dans les ténèbres? Non. Si elle avait été sauvée, lui aussi, certainement. Mais n'avait-il pas été visé deux fois en l'espace de deux jours? Et si les assassins l'avaient épargnée elle mais pas lui? Une main effleura avec douceur tout le long de son visage, produisant en Lyz un minuscule frisson imperceptible. Était-ce celle du jeune Kuroda? Sans aucun doute. Il n'y avait que lui pour faire preuve d'autant de douceur. Son protégé était en vie. Si elle avait pu, Lyz aurait souri.

L'odorat et le goût revinrent simultanément. Était-ce parce qu'ils étaient liés? Lyz n'en savait rien. Elle avait un goût amer dans la bouche, qui contrastait avec un parfum sucré qu'elle ne parvenait pas à identifier, ainsi qu'avec l'odeur douce et puissante de Masaki. Il était tout près d'elle. La vampire brûlait de le toucher, d'ouvrir les yeux et de le voir, pour s'assurer que personne ne lui avait fait de mal, mais il était encore trop tôt. Elle se mit alors à attendre. Attendre que le son lui revienne, de pouvoir bouger, parler, communiquer.

Les heures passaient, et elle stagnait toujours au même point. Pourquoi cela ne revenait-il pas? Elle n'avait que trois sens sur les cinq, et l'ouïe et la force d'ouvrir les yeux pour recouvrer la vue ne venaient pas. Que devait-elle faire? Attendre et attendre encore. Les minutes passaient, et elle ne sentait toujours aucun changement. Une idée lui vint alors. Elle n'avait pas cinq sens, mais six. Elle était différente des autres créatures, quelles qu'elles fussent. Elle décida d'essayer d'étendre sa conscience, sans que cela ne lui prenne d'énergie. Ce fut difficile au début, comme de marcher après des mois passés sans le faire, mais elle reprit vite l'habitude, et put s'en resservir à sa guise au bout de quelques dizaines de minutes. Et elle put sentir, vérifier la présence de Masaki. En observant la surface de son âme, elle constata que le seul danger qui le guettait était la fatigue. Elle alla alors plus loin, sentant le château entier. Les seules présences étaient parfaitement humaines, il s'agissait de la petite dizaine de domestiques qui s'occupaient du manoir sans même se rendre compte que leur maître était un être hors du commun.

Pendant l'extension de sa conscience, Lyz retrouva le sens de l'ouïe sans même s'en rendre compte. Ce ne fut qu'à l'instant où sa conscience revenait sur elle-même qu'elle se rendit compte qu'elle entendait l'horloge battre le temps au rythme des secondes, ainsi que la respiration de Masaki. Il était temps d'ouvrir les yeux. Au prix de quelques minutes d'un colossal effort pendant lequel son corps ne répondit pas, ses paupières finirent par enfin s'ouvrir. Elle regarda autour d'elle. Elle était dans une chambre entièrement bleue, paisible et rassurante, dans un magnifique lit. À côté, assis sur une chaise, Masaki restait à son chevet. Il ne sembla pourtant pas remarquer que Lyz était réveillée. Quelle humiliation! Elle qui se prétendait la protectrice de ce jeune vampire inconscient se retrouvait vulnérable face à lui! Elle, la maléfique Bloody Lyz! Non, c'était impossible, elle ne devait pas rester dans cet état! Elle voulut se lever, mais aucun muscle ne répondit à l'appel, sauf ceux des yeux. Et lorsqu'elle voulut parler, aucun son ne sortit de sa bouche hermétiquement close.

Elle était impuissante, terrassée, paralysée par la fatigue. Seuls ses cinq sens, ses yeux et sa faculté de penser demeuraient indemnes. Que pouvait-elle faire? Elle était si faible, et elle avait si faim! Pourquoi Masaki restait-il dans la pièce? Pourquoi la veillait-il? Il fallait qu'il parte, le temps qu'elle puisse reprendre des forces!

*Vas-t'en, vas-t'en, laisse-moi, ne m'humilie pas en restant là! Je ne veux pas de témoin de ma faiblesse! Vas-t'en! Entends-moi!*

Mais aucun son ne sortait de sa bouche. Que faire? Elle était dans une si triste position! Une larme coula sur sa joue droite.

Lyz regardait dans le vague, priant pour que Masaki ne la vit pas, lorsqu'elle sentit un geste d'une douceur infinie. Un mouchoir, un simple mouchoir de tissus, brodé de petites fleurs d'un délicat orange, s'approcha avec délicatesse de son visage où gisait toujours cette goutte d'eau salée perdue au beau milieu de sa joue. Le mouchoir s'approcha donc, délicatement, et, tel une plume, effleura sa peau fine et sensible, en absorbant au passage toute trace de la larme. Puis, au grand soulagement de Lyz, Masaki se dirigea vers la porte, comme si il avait entendu sa requête. Il s'arrêta tout de même un bref instant, juste le temps de dire une phrase.

-Ne pleurez pas pour rien, cela me fait mal au cœur.

Les mots restèrent en suspens tandis que le jeune Kuroda quittait la pièce. Les mots restèrent gravés dans l'esprit de Lyz. Un homme, un mâle, avait-il vraiment dit cela? Le pensait-il réellement? La jeune femme était bouleversée par le comportement de ce vampire hors du commun. Que devait-elle faire? Que devait-elle lui dire? Il venait de lui prouver que le principe selon lequel aucun homme ne méritait de vivre n'était pas forcément vrai, ni systématiquement vérifiable. Mais Lyz était extrêmement têtue, et n'était toujours pas convaincue de la véracité de ces choses.

Cependant, elle ne débattit avec elle-même sur ce sujet: elle devait se relever, aller mieux lorsque Masaki reviendrait. En premier lieu, elle devait rassembler des forces. Elle ferma les yeux et puisa jusqu'au fin fond de son corps. Elle pensait être prête. Elle avança le buste relevant la tête, mais ce fut un échec. Elle était dépourvue de toute force. Il fallait qu'elle chasse, mais comment le pouvait-elle dans cet état? Lyz referma les yeux et réfléchit. Elle ne pouvait pas chasser, elle n'avait pas assez d'énergie, il fallait donc qu'elle use de son pouvoir. Elle étendit peu à peu sa conscience, et ce qu'elle sentit lui fit froid dans le dos. Un loup garou et un lycan s'en prenaient à Masaki! Il fallait qu'elle l'aide! Lyz se releva brusquement, perdit connaissance et s'affala de nouveau dans sa douce prison de couvertures.

Elle revint à elle lorsque l'odeur du sang de Masaki, qu'elle connaissait bien maintenant, se fit sentir. Il avait été blessé! De nouveau, Lyz tenta de se lever, mais elle était indéniablement trop faible, et elle ne parvenait plus à maîtriser sa conscience qui lui dévorait toute son énergie restante lorsqu'elle voulait la déployer. Elle devait se résigner à attendre, seule, dans sa chambre, que le vampire revînt ou que ses agresseurs s'occupassent de son cas. Une nouvelle larme coula sur sa joue, mais elle trouva la force de l'essuyer, bien que cela l'essoufflât. Son bras retomba mollement sur le matelas, et sa vue se brouilla de nouveau, mais elle ne perdit pas connaissance, pas cette fois. Elle était bien trop préoccupée par ce qui allait arriver à Masaki pour se rendre compte qu'elle allait sombrer dans l'inconscience, et ce fut sûrement ce qui l'en empêcha.

Peu après, l'odeur du sang s'atténua. Ce devait être une blessure superficielle qu'il était en train de bander, se rassura Lyz pour ne pas penser au pire. Elle entendit, au bout de quelques minutes, des bruits de pas qui s'approchaient de sa chambre. C'était une démarche rapide qui s'arrêta juste devant la porte avant d'entrer. C'était Masaki, elle en était certaine, elle entendait son souffle, saccadé, comme si il venait de courir -ou de mener un combat. Comment quelqu'un d'autre eût pu savoir qu'elle se trouvait là, mis à part des domestiques qui passaient leur temps à ne rien faire? Sa pensée se trouva confirmée lorsqu'elle vit un éclair roux se pencher sur la chaise pour poser quelque chose. Une main s'approcha de son visage sans qu'elle la vît, et caressa la peau avec une douceur, une tendresse infinie, faisant faiblement frissonner la vampire encore au bord de l'inconscience. Elle vit ensuite une forme passer, et elle se retrouva assise sur le lit sans véritablement comprendre pourquoi. Elle était complètement perdue, déboussolée. Ses sens répondaient de moins en moins, et elle n'allait pas tarder à sombrer de nouveau dans l'inconscience.

Lyz ferma les yeux. Il fallait économiser des forces pour pouvoir rester consciente le plus longtemps possible. Elle sentit vaguement Masaki la chevaucher, sans même la toucher. Elle fut prise d'un élan de panique. Qu'allait-il faire? Attendait-il cet instant, celui où elle serait trop faible, pour profiter d'elle? Elle tenta mollement de s'emparer de Kaimetsu, mais elle ne l'avait pas sur elle, ni aucune de ses dague. Il avait tout prévu! Elle étendit alors sa conscience et effleura l'âme de Masaki... et la récupéra aussitôt. Quoiqu'il fît, il avait une intention noble, son âme était pure, et elle ne devait pas le tuer. Elle ne savait pas ce qu'il faisait à cheval sur elle, mais aucune pensée lubrique n'effleurait son esprit. Une odeur de sang envahit alors la pièce, faisant saliver Lyz. Qu'avait-il en tête? La vampire vacillait dangereusement, menaçant à chaque seconde un peu plus de sombrer dans l'inconscience.

Des bras saisirent alors délicatement la vampire et l'approchèrent d'un corps chaud et protecteur. Sa tête partit en arrière, une main la poussa avec une infinie tendresse en direction de la source de l'odeur du sang, jusqu'à ce que ses lèvres pussent toucher le liquide salvateur. Une voix, celle de Masaki, se fit entendre, à peine perceptible.

-Lyz, je vous le demande comme une faveur, mordez-moi et buvez mon sang. Je veux être votre... pour toujours...

Sans demander son reste, trop faible pour que sa fierté l'en empêchât, la jeune femme ouvrit la bouche et mordit dans la peau de son hôte. Le liquide envahit alors sa bouche, coulant peu à peu dans tout son corps, chaud, salvateur. Elle regagnait peu à peu en énergie, mais ce n'était pas encore assez. Elle n'avait pas bu beaucoup, et elle pouvait seulement recommencer à bouger. Elle leva alors faiblement les bras et enlaça Masaki, se cramponnant à lui comme un naufragé à une bouée de sauvetage.

Lorsqu'elle se sentit mieux, elle lécha la plaie du jeune homme, sans le lâcher, afin de rendre celle-ci plus propre. Elle se sentait encore faible, mais ce n'était plus dû au manque de sang. Lorsque la blessure fut propre, elle ouvrit enfin les yeux, mais ne lâcha toujours pas Masaki. Elle fit alors quelque chose qui, quelques heures à peine auparavant lui aurait paru insensé, en complète contradiction avec ses principes, mais c'était différent, depuis qu'elle avait effleuré l'âme d'une blancheur susceptible de rendre jaloux le plus blanc des anges que possédait le vampire. Elle planta son regard presque net dans celui de son sauveur.

-Sois mien, Masaki, dit-elle. Éclaire mes nuits de ta blancheur immaculée, et fais de moi la créature la créature la plus heureuse qui soit.

Sur ces mots, prise par l'ivresse de sa découverte, par la fatigue qui la submergeait et les paroles prononcées par le jeune vampire, elle ferma de nouveau les yeux, s'avança près de son visage, se blottissant un peu plus contre lui, et l'embrassa, espérant qu'elle ne se trompait pas sur ses sentiments, ni sur ceux qu'éprouvaient le vampire à son égard.

Masaki était parti depuis quelques minutes, mais Lyz demeurait abasourdie. Elle avait besoin de quelques instants de réflexion, même, et surtout, si une bataille se préparait. Lors d'affrontements sérieux, elle ne partait jamais le cœur plein de questions, car elle s'en trouvait affaiblie et moins attentive. Elle retrouva alors la position familière du lotus, celle qui était la plus propice à la méditation. Les questions vinrent alors une à une, jusqu'à former un tourbillon dans sa tête.

Qu'avait-elle fait? L'avait-elle réellement fait ou bien n'était-ce qu'une farce de son subconscient? Elle se souvenait pourtant de tout, nettement. Son hôte lui avait offert son sang, un sang délicieux, le meilleur qu'elle eût goûté. Et il était si riche! Elle n'avait pas eu besoin de boire beaucoup pour aller mieux. Lyz se souvenait alors de ses crocs pénétrant délicatement dans la chair du vampire, du sang qui avait giclé entre ses lèvres, à la fois doux et épicé. C'était un sang masculin, plus que n'importe lequel de ceux qu'elle avait goûté jusqu'à présent, et son cœur s'emballait lorsqu'elle y repensait. Puis, lorsqu'elle s'était arrêtée, elle se rappelait avoir léché la plaie pour la nettoyer, telle une louve avec son petit. Mais ce qu'elle ne comprenait pas, c'était ces paroles prononcées et le baiser qui les avait suivies. L'aimait-elle vraiment? Avait-il conquis son cœur glacial? Avait-il réchauffé ces passions qui lui avaient valu la folie dans laquelle elle était tombée? Tout se mélangeait, et les questions se multipliaient dans la tête de Lyz, sans qu'aucune d'entre elles ne trouvât de réponse.

*Tant pis, se dit-elle alors qu'elle sentait des présences arriver de l'autre côté du château. Ce n'est plus le moment de penser. Il est temps de passer à l'action.*

Elle se leva, saisit les armes que Masaki avait déposé sur le coin du lit et s'échauffa rapidement les poignets. Elle dissimula Kaimetsu dans les replis de sa robe et les dagues à divers endroits stratégiques. Puis, sentant qu'on se dirigeait vers l'arrière de la demeure, à l'endroit où donnait sa fenêtre, elle sauta discrètement par cette dernière et se dissimula dans un buisson. Elle se concentra et repéra les âmes des personnes qui arrivaient sans même prendre la peine de se cacher. Elles étaient encore loin, ce n'était que des êtres masculins, cela devrait faire l'affaire.

Elle sortit de sa cachette, épousseta sa robe et se mit en marche, d'une allure de promeneuse. Ses pas la menèrent directement aux âmes qui ,ne se cachèrent pas en la voyant. Les huit humains tenaient chacun deux lycans au bout d'une chaîne. C'était pitoyable. Comment ces créatures, en théorie plus nobles que les hommes, pouvaient-elles se soumettre de telle manière? Ils avaient tous la queue entre les pattes, en une attitude de parfaite soumission, voire même de crainte. Pourtant, lorsqu'elle effleura leurs âmes, Lyz vit qu'ils ne vouaient que de la haine à leurs ''maîtres''.

-Ooooooh!!! Les jolis toutous!!! Fit-elle d'une voix d'humaine ignorante. Mais ils sont immenses, ma parole! Mais quel pelage magnifique, soyeux et lisse! Dites-moi, quel est votre secret?

Les hommes la regardaient, abasourdis par la réaction de la vraisemblablement noble humaine. Ces personnes avaient normalement peur des chiens qui faisaient plus de vingt centimètres de haut, mais ces ''toutous'' là mesuraient en moyenne plus d'un mètre cinquante, et elle en paraissait folle...

Lyz s'avança et, prête à broyer son âme au moindre geste suspect et le lui faisant sentir, elle caressa l'animal le plus proche au niveau de l'encolure et en profita pour examiner le collier. Si il y avait une menace pour les lycans, elle ne pouvait venir que de là. En apparence, ce n'était qu'un vulgaire collier de cuir hérissé de pointes en métal et doublé d'une chaîne. Cependant, il dégageait une chaleur qui n'était pas la même que celle que dégageait la bête. Ce n'était pas la chaleur de la vie, c'était celle d'un mécanisme en marche constante. Elle ne savait pas quel secret renfermaient ces colliers, mais peu lui importait. Elle était fatiguée et elle n'avait pas envie de se battre pleinement.

D'un geste rapide, trop pour que les humains pussent réellement le percevoir, elle se saisit de la dague qui était cachée dans sa manche droite, coupa le collier de cuir et brisa la chaîne de ses mains, et, avant que les huit hommes n'eussent le temps de réagir, elle avait recommencé la manœuvre avec deux autres lycans. Ces dernier se retournèrent instantanément contre leurs maîtres, semant la panique, et Lyz en profita pour achever son oeuvre et tuer deux des gardiens, laissant les animaux se venger sur le reste. Elle garda un léger contact avec leur âme, histoire de vérifier qu'ils quittassent bien la propriété une fois leur besogne terminée.

Reprenant son chemin, elle rencontra deux équipes du même genre. Dégoutée, elle acheva elle-même les ''maîtres'', libérant un à un les lycans. Deux d'entre eux reprirent forme humaine et s'inclinèrent devant elle avant de se transformer à nouveau et de s'enfuir. Elle ne supportait pas de tels actes, et elle pensait avoir vu le pire, lorsqu'elle croisa un humain seul, tenant en laisse non pas deux lycans, mais un vampire. Elle s'arrêta, stupéfiée. Quelle était cette façon de faire? Comment pouvait-on faire cela à un être vivant? Elle décida de garder celui-ci en vie afin de l'interroger.

Lyz s'élança vers l'humain, mais, à sa grande surprise, un corps lui barra la route. C'était celui du vampire qu'elle voulait libérer. Elle leva les yeux et croisa son regard. Ses yeux étaient remplis de larmes et de regret, comme si il savait qu'il allait faire un acte ignoble. Il leva une main que Lyz évita de justesse avant de constater que ce n'était pas suffisant. Des lames d'air lui avaient frôlé la peau, manquant de peu de la blesser. Elle tenta ainsi plusieurs passages, mais l'autre vampire, bien qu'extrêmement faible, était plus rapide qu'elle, et elle évitait chaque lame d'air avec un peu plus de difficulté.

Au final, Lyz choisit une solution de facilité. Elle s'éloigna du vampire, espérant qu'il ne pût pas sentir sa conscience se déployer et trouva l'âme de l'humain. Ce fut facile, et, brisant sa décision, elle fit brusquement pression sur l'âme qui explosa, tuant l'homme qui tomba, raide mort. Le vampire tomba aussi, et Lyz put constater dans quel état de faiblesse il se trouvait. Il gisait au sol, inconscient, la bouche légèrement ouverte. La jeune femme tua un lapin, lui ouvrit la gorge et fit couler le sang de l'animal dans celle du vampire.

Celui-ci reprit alors conscience et se présenta. Il se nommait Takeshi et avait été capturé quelques semaines plus tôt par des scientifiques. Il se redressa et fit face à Lyz. Il posa sa main sur la sienne, comme si ils eussent été proches depuis des années et s'approcha un peu plus d'elle, une étrange flamme dans le regard. La jeune femme retira sa main et se leva. Takeshi suivit le mouvement, et il lui saisit les mains avant de la plaquer contre un tronc. Avant que Lyz eût le temps de réaliser quoi que ce fut, les crocs du vampire s'étaient plantés bruyamment dans sa gorge et il commençait à sucer le sang de la jeune femme.

Instantanément, la conscience de Lyz se déploya et engloba l'âme du vampire. Celle-ci était mauvaise au plus haut point, d'un marron-vert boueux et dépourvue de tout scrupule. Il n'avait qu'un seul plaisir, traumatiser les autres êtres et se nourrir de leur sang autant que de leurs peurs. C'était un être abject, immonde, qui ne méritait en rien la vie. D'une pression sur son âme, elle la lui ôta. Le corps du vampire, qui était encore en train de lui sucer le sang, s'affala, et ses crocs déchirèrent la peau de lyz sur quelques centimètres.

La jeune femme s'affaissa et se laissa tomber à côté du mauvais vampire. Elle resta prostrée quelques instants, incapable de faire quoi que ce fut, puis elle éclata en sanglots. Elle pleura longtemps, les larmes rougissant ses yeux et noyant ses pales joues sous la tristesse. Elle passa la nuit, recroquevillée sur elle-même, à pleurer l'acte de ce vampire, et, quand l'aube se leva, elle put enfin se ressaisir. Elle essuya ses joues et ses yeux rouges, et étendit sa conscience dans toute la propriété.

Il n'y avait plus un seul ennemi vivant dans les parages, Lyz en fut rassurée. Cependant, elle ne trouva aucune âme non animale. Masaki n'était plus là! Avait-il été tué? Était-il parti à la poursuite d'éventuels fuyards? Avait-il été enlevé? De nouvelles questions se bousculaient dans sa tête. Que pouvait-elle faire? Que devait-elle faire? Prise de panique, elle partit dans un sens, puis dans un autre. Elle se ressaisit tout de même, et finit par s'installer, au beau milieu d'une dizaine de cadavres, dans la position du lotus. La situation était grave. Elle devait tout d'abord vérifier si Masaki était mort à l'intérieur de la propriété, puis elle en sortirait si il n'y était pas.

Et si il était mort? Que ferait-elle? Elle écarta cette hypothèse d'une secousse de la tête. Il ne fallait pas penser à cette éventualité. Il ne pouvait pas être mort. Il n'en avait pas le droit. Pas avant qu'elle n'eût éclairci la situation entre eux deux.

Lyz parcourut alors tout le jardin, parcelle par parcelle. Ce fut assez rapide étant donné sa rapidité hors du commun, mais cela lui parut durer des siècles. Elle fouilla tous les buissons, les bosquets d'arbres, tous les lieux où elle avait la moindre chance, ou plutôt malchance, de trouver un corps, le sien. Des corps, elle en découvrit à foison, mais aucun n'était celui de son rouquin. Elle se surprit alors à penser à lui comme tel. Son rouquin. Que marquait-elle par là? Elle n'avait aucun droit sur le jeune vampire, elle le savait, et elle était trop respectueuse pour passer outre cela. Elle secoua légèrement la tête. Elle repenserait à cela une autre fois, quand elle l'aurait retrouvé.

Elle avait exploré tout l'extérieur de la demeure. Elle se décida donc à rentrer et inspecter méthodiquement l'intérieur. Elle décida de procéder étage par étage, pièce par pièce. C'est ainsi qu'elle se rendit compte de la réelle taille de la demeure. Elle était impressionnante de l'extérieur, mais elle était plus spacieuse encore que ce qu'elle paraissait. Elle chercha longtemps, ne découvrant pas la moindre trace de lutte. Cependant, il y avait dans l'air des odeurs qu'elle ne connaissait pas, des odeurs d'intrus. Mais elles s'estompaient peu à peu, ce qui indiquait qu'il n'y avait personne, ce qui ne surprit pas la vampire, puisqu'elle n'avait perçu aucune âme.

Lyz arriva alors à l'étage qu'elle connaissait le mieux dans la demeure, celui où se trouvait sa chambre. Dès qu'elle y arriva, elle sut que quelque chose n'était pas normal. Un corps gisait au beau milieu du couloir. La vampire s'en approcha et l'inspecta. L'homme avait un poignard planté dans le cœur. Certainement l'oeuvre de Masaki. Elle se pencha sur le corps, lorsqu'elle perçut un léger rayon de lumière violette sous la porte de ''sa'' chambre. Elle s'approcha, intriguée, et ouvrit la porte.

Un cube de lumière occupait la quasi totalité de la pièce. À l'intérieur se trouvaient deux hommes de taille moyenne, penchés sur un corps enchaîné dans le lit, ainsi qu'un autre, bien plus imposant, qui assistait à la scène, les mains sur les hanches, le sourire aux lèvres. Lyz regarda alors plus attentivement le corps, et la seule chose qu'elle distingua fut une tignasse rousse.

Masaki... murmura-t-elle pour elle-même.

Sans se poser de question, Lyz se saisit de Kaimetsu et se rua sur l'homme le plus grand. Mais elle fut arrêtée net par la paroi de lumière qui la séparait de l'homme. Qu'était-ce? Elle n'en avait aucune idée. Une sorte de bouclier, peut-être. L'homme se tourna vers elle, afficha un sourire narquois et retourna à l'examination de ce que les deux autres hommes faisaient au vampire. Lyz lança une dague sur le bouclier, prenant bien soin, pour le cas où elle traverserait, de ne pas viser Masaki et de se concentrer sur le plus grand des hommes. Elle était sûre que c'était lui qui maintenait le bouclier. La dague ricocha et la vampire l'évita de justesse. Soit, c'était un bon bouclier.

Ne s'avouant pas vaincue, Lyz étendit sa conscience et chercha les âmes des trois malfaiteurs, ainsi que celle de Masaki, pour vérifier son état, car elle ne savait toujours pas si il était vivant. Elle ferma les yeux et chercha. Rien. Elle rouvrit les yeux. Ils n'avaient pourtant pas bougé! Elle referma les yeux et retenta avant de se rendre compte qu'elle ne percevait aucune vie dans le cube, pas même celle d'un insecte, et pourtant, elle percevait la présence d'une araignée derrière elle.

Comprenant que le cube l'empêchait non seulement de passer, mais aussi d'utiliser ses pouvoirs à travers lui, Lyz se releva, ne sachant que faire et se rua de nouveau dessus. Peut-être qu'il lui était impossible de passer au travers, mais la pression devait déconcentrer l'homme qui, elle l'espérait, négligerait l'espace d'un instant son mur et qu'elle traverserait. Elle se mit à frapper de toutes ses forces dessus, hurlant le nom de Masaki comme on hurle de désespoir.